Bivouacs sous la lune by Roger Frison-Roche

Auteur:Roger Frison-Roche
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Arthaud
Publié: 1950-01-15T00:00:00+00:00

Personne ne s’endormit ce soir-là. Encore que les moustiques ne fussent pas particulièrement virulents, la chaleur lourde des bas-fonds, cette chaleur humide à laquelle, eux, Sahariens, n’étaient pas habitués, les plongeait dans une sorte de torpeur : il leur manquait les étoiles dans un ciel pur, et comme la lune s’était évanouie derrière les hautes falaises, ils se groupèrent autour de la flamme qui éclairait au gré du vent tantôt un recoin, tantôt l’autre de leur abri sous roche.

Toute la nuit ils écoutèrent les bruits ininterrompus et nouveaux qui montaient jusqu’à eux : craquements dans les hautes herbes, lapements de fauves à la mare, ploufs subits de phacochères se baignant, parfois le feulement bref d’une panthère en chasse suivi d’une débandade de sabots martelant le sol durci par la sécheresse. Ils virent ainsi passer, aller et venir tous les animaux sauvages, qui avaient fait la trêve de l’eau. Car les fauves ne tuent jamais à l’eau, mais sur le chemin qui y conduit. Malheur alors à la jeune antilope qui s’écarte, au phacochère étourdi, aux gazelles, à tous et à toutes qui négligent les lois fondamentales de la brousse.

Puis il y eut un grand silence.

Il coïncida avec la venue de la brise, annonciatrice du jour. Là-haut, déjà, on pouvait suivre le moutonnement des nuages dans le ciel pommelé où commençaient de s’accrocher quelques touches infimes de rose et de violet.

Il n’y eut pas l’heure bleue des levers de soleil sahariens. Ce fut tout à coup comme un grand cri de la nature et des bêtes. En même temps que le vent chantait, d’un peu partout s’abattirent sur l’eau des oiseaux en nuages épais, et descendirent des roches les pigeons bleus, et des touffes d’hyphènes les tourterelles à la gorge orange.

Ils entendirent un bruyant concert dominé par le jacassement insupportable des lourdes et énormes chauves-souris qui, aveuglées par la lumière, rejoignaient leurs trous et leurs cachettes diurnes. Et le jour fut : le vrai jour tropical qui succède sans transition à la nuit.

C’était l’heure où ils eussent aimé se reposer, mais Lignac, déjà debout, secoua leur torpeur. Renversant la zeriba d’épineux, il descendit à la mare où plus rien ne subsistait du combat nocturne.

Les grands charognards noirs tournaient plus au nord, dans une ronde interminable, portés sans un coup d’aile par les vents ascendants de la montagne.

« Ils surveillent le lion et sa proie ! » constata Beaufort.

Alors ils se penchèrent sur la sylve mystérieuse. En son centre elle paraissait plus clairsemée et il s’y élevait, presque au cœur de la Montagne aux Écritures, un haut morne de granit, semblable à une fortification dominant la houle bruissante des arbres.

Ils décidèrent d’y aller voir.

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